Maintes fois retardée, la restauration de cet édifice vieux de dix-sept siècles a fait l’objet d’intenses tractations.
Ils s’activent, perchés neuf mètres au-dessus du sol, comme indifférents aux milliers de pèlerins qui se pressent en contrebas. En cette veille de Noël, les artisans italiens sélectionnés par l’Autorité palestinienne achèvent de préparer leur chantier, installant d’ultimes protections sur les somptueuses mosaïques qui ornent la basilique de la Nativité. Dans les prochains jours, ils réceptionneront trente tonnes de poutres en chêne convoyées depuis l’Italie, via le port israélien d’Ashdod, à destination de Bethléem. Sauf ultime contretemps, ils pourront alors entamer la rénovation, maintes fois retardée, de cet édifice vieux de dix-sept siècles.
«Il y a bientôt deux cents ans qu’aucune réparation d’importance n’avait été entreprise», observe le frère Stéphane, ex-supérieur de la Nativité et responsable des travaux pour la Custodie de Terre sainte. Au fil des ans, les infiltrations ont altéré les mosaïques et provoqué des moisissures, voire par endroits un pourrissement du bois. Les jours de mauvais temps, des flaques d’eau se forment sur le sol de la basilique, dont les icônes, les fresques et les tapisseries ont été recouvertes de suie par les lampes à huile. Un triste constat qui, en raison de la cohabitation houleuse entre les trois patriarches ayant autorité sur ces lieux, est longtemps resté lettre morte.
En vertu d’un firman publié en 1852 par le sultan ottoman, qui codifie les droits et devoirs des Églises catholique, grecque orthodoxe et arménienne apostolique sur l’édifice, chacun considère en effet tout projet de rénovation comme une inquiétante tentative de modifier le statu quo. À la veille des célébrations du nouveau millénaire, d’intenses tractations furent menées pour tenter d’aboutir à un accord permettant de «toiletter» la basilique – en vain. «Les divisions entre ces trois églises sont parfois exagérées mais il faut reconnaître qu’elles n’ont pas exactement les mêmes conceptions esthétiques», euphémise le frère Stéphane.
« Au total, l’Autorité palestinienne a déboursé un million de dollars pour la toiture mais les experts estiment qu’il faudrait quinze fois plus d’argent pour rénover l’ensemble de l’édifice »
Ziad al-Bandak, conseiller de Mahmoud Abbas pour les affaires chrétiennes
À la fin des années 2000, il a fallu l’intervention du président de l’Autorité palestinienne pour débloquer les négociations. «Les infiltrations comme les tremblements de terre successifs avaient fragilisé la toiture de l’église à un point tel qu’on ne pouvait plus attendre davantage, plaide Ziad al-Bandak, conseiller de Mahmoud Abbas pour les affaires chrétiennes. C’est pourquoi nous nous sommes efforcés de mettre tout le monde d’accord, en proposant non pas des travaux cosmétiques mais la rénovation approfondie de l’édifice.» Une médiation qui s’est soldée par la signature, le 2 septembre 2010, d’un accord jugé historique entre les patriarches des trois Églises.
Diverses équipes de chercheurs se sont depuis lors relayées dans la charpente de l’édifice pour en étudier la structure. «De nombreux fragments de bois ont été prélevés par carottage, indique Marcello Piacenti, responsable de l’entreprise italienne sélectionnée au terme d’un appel d’offres international, qui détaille: les progrès de la dendrochronologie nous ont permis de distinguer les poutres taillées dans du cèdre au XIIIe siècle, et celles fabriquées dans du chêne venu d’Italie vers 1470. Ces analyses vont nous permettre de préserver un maximum de poutres d’origine, et de remplacer par un type de bois strictement équivalent les parties fragilisées par la moisissure.»
La première tranche du chantier, qui se concentre sur la toiture, s’achèvera en principe en septembre prochain mais d’autres travaux devaient suivre. La basilique, dont les vestiges les plus anciens remontent à 339 et qui reçoit chaque année plus de deux millions de visiteurs attirés par la grotte où, selon la tradition, est né le Christ, montre en effet d’autres signes de fatigue. Outre les outrages des siècles et de l’humidité, elle a par exemple subi, en 2002, quarante jours d’un siège imposé par l’armée israélienne, dont les tirs ont laissé des traces superficielles sur les murs extérieurs. «Au total, l’Autorité palestinienne a déboursé un million de dollars pour la toiture mais les experts estiment qu’il faudrait quinze fois plus d’argent pour rénover l’ensemble de l’édifice», indique Ziad al-Bandak.
L’implication de l’Autorité palestinienne dans ce projet, sans doute motivée par son souci de préserver l’une des plus vieilles églises du monde et de valoriser le patrimoine de Bethléem, n’est d’ailleurs pas dépourvue d’arrière-pensées politiques. Le 29 juin dernier, malgré l’opposition farouche d’Israël et des États-Unis, la Nativité a été inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Non content d’être un éternel sujet de discorde entre trois Églises chrétiennes, le vénérable édifice est ainsi devenu un symbole parmi d’autres du combat engagé par les Palestiniens pour obtenir la reconnaissance internationale de leur État.
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